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Une brève histoire de l'autisme

Eugène Bleuler 1911 tient tête à Sigmund FREUD sur la dénomination qu'il tient du radical grec « AUTOS » = soi-même et du suffixe « ISME » qui renvoie à un corpus de connaissances. Freud souhaitait garder le terme psychose infantile.
Le mot "autisme" apparaît dans un contexte de psychiatrie adulte et de la question des psychoses, en l’occurrence des schizophrénies. L'enfant n'est pas encore à cette époque un être en soi, il est un adulte miniature et donc définie au regard de ce qui est observé chez les adultes. 

  Léo Kanner 1943
Léo KANNER est un médecin Autrichien parti vivre aux Etats-Unis. Il crée le 1er service de psychiatrie infantile au sein d'un hôpital universitaire en 1930. 

 C'est à partir de l'observation de 11 enfants de 4 à 5 ans pendant 5 ans entre 1938 et 1942 qu'il va publier un article en 1943 qui reste un article majeur : « Autistic disturbance of affective contact » 

Ce personnage est important à double titre. Il est le premier à faire de l'autisme un trouble primaire et non secondaire à une forme de schizophrénie. Avec Lui, l'autisme acquiert sa propre sémiologie ( ses signes et ses symptômes spécifiques). Mais il reste intégré aux psychoses en se démarquant du champ des schizophrénies.

En plus des stéréotypies décrites par Mélanie Klein, Léo Kanner ajoute, grâce à ses observations, le besoin d'immuabilité et les intérêts restreints

Voici ce qu'il dit : « Une impossibilité d'établir des relations humaines, des troubles du langage, une appréhension des parties avant le tout (faire tourner une roue de voiture inlassablement plutôt que jouer avec la voiture dans son entier), une terreur des intrusions, une répétition inlassable de rituels, la nécessité de maintenir un ordre des choses toujours identique et les mêmes séquences d’événements ».

Sa démarche est innovante à cette époque car il s'attache vraiment à décrire ce qu'il observe chez ces 11 enfants. L'enfant est considéré pour ce qu'il est, en soi, et non comme un adulte miniature, vision commune à l'époque. 

Léo Kanner va aussi marquer durablement l'histoire de l'autisme en étant le premier à parler des parents de ces enfants en les désignant de « froids et distants ». Pour Kanner, ces parents seraient centrés sur les performances intellectuelles et peu enclins à la chaleur affective. C'est lui qui, concernant les mères, parlera de « mères frigidaires »

En 1952, dans un journal de psychiatrie, il écrit ceci : « Ces enfants étaient des sortes de cobayes car le souci de performance était le moteur des parents plutôt que la chaleur humaine et le plaisir d'être ensemble. Ils étaient comme gardés dans des frigidaires qui ne se décongelaient jamais. ». Il précisera plus tard que les pères sont souvent absents et les mères froides. 

Pourtant, lorsque Léo Kanner comprendra bien plus tard la lecture qui a été faite de ses travaux, il s'en trouvera assez irrité. Il précisera n'avoir jamais totalement laisser de côté l'idée que l'autisme pouvait avoir une cause "organique" et être présent dès la naissance. Il s'interroge sur le caractère inné à plusieurs reprises.

Sur le supposé rôle des mères dans l'autisme de leur enfant, Léo Kanner parlera d'un malentendu.

Lors d'une soirée hommage en 1969, il prononcera une parole restée fameuse : 
"Parents, je vous acquitte ! Herewith I acquit you people as parents"

Extrait site Esperansa : "Tout le monde a compris ce qu'il voulait dire. Il racontait à toutes les mères présentes, ainsi qu'à celles non présentes, que l'état de leurs enfants n'était en aucune façon leur faute.
Les applaudissements ont ricoché sur les murs et au-delà - un élan de reconnaissance et de soulagement, venant d'abord des mères. Debout, applaudissant, certains étaient en larmes. Les pères aussi. Un parent plus tard a décrit le moment comme «passionnant», car c'était non seulement une phrase de leur appréciation partagée remontant et se répandant au-delà de la salle de bal. C'était la phrase libérant de la honte refoulée. Plus tard, un bulletin d'information de parents parla de lui comme «Notre bien-aimé Dr Kanner." Léo Kanner avait changé d'avis sur l'autisme pour la dernière fois."



Hans ASPERGER 1943
Johann Friedrich Karl Asperger dit Hans Asperger, né le 18 février 1906 à Vienne et mort le 21 octobre 1980 à Vienne, est le psychiatre autrichien qui a donné son nom au syndrome d'Asperger. 

C'est au même moment que Léo Kanner en 1943 que Hans Asperger, publie sa thèse sur « Les psychopathes autistiques pendant l'enfance » A l’époque, sa thèse est passée quasi inaperçue. Il s'appuie sur des années d'observation et un travail éducatif quotidien avec des enfants entre 6 et 11 ans. 

Hans Asperger et Léo Kanner ne se sont jamais rencontrés mais Hans connaissait les travaux de Léo. Hans Asperger parle de psychopathies autistiques pour les distinguer des schizophrénies. Mais de cette psychopathie il en avait une vision positive : « Ces personnes autistiques (sic) ont leur place dans la société grâce à leurs mémoires et leurs capacités intellectuelles très développées ». Pour le reste il utilise le même tableau que Léo Kanner.   

Voici ce qu'écrit Hans Asperger : «  Un manque d'empathie, une faible capacité à se faire des amis, une grande maladresse gestuelle, ils parlent très bien mais leur conversation est « unidirectionnelle », ils sont préoccupés par des intérêts spéciaux et leur capacité à parler de leurs intérêts favoris avec beaucoup de détails les fait surnommer « petits professeurs ». 

Ses travaux vont rester 40 ans dans l'oubli à cause de la polémique sur son appartenance au parti nazi. C'est dans les années 70 que ses travaux sortent de l'ombre par les recherches d'une psychiatre anglaise : Lorna Wing

Asperger est mort avant que l'identification de son modèle de comportement devienne largement reconnue, parce que son travail a essentiellement été rédigé en allemand, et a été très peu traduit. La première personne à avoir utilisé le terme « Syndrome d'Asperger » dans un article fut la chercheuse britannique Lorna Wing. Son article, « Asperger's syndrome : a clinical account », a été publié en 1981.

Le syndrôme d'Asperger entrera dans les classifications internationales en 1994 seulement. Et la traduction française de ses travaux seulement en 1998. Des recherches historiques permettent aujourd’hui d’affirmer que Hans Asperger a participé au projet AKTION T4, programme d’euthanasie d’enfants « erreur de la nature et irrécupérable ». Il en aurait envoyé environ 80 vers la mort.

C'est pour cette raison, grâce aussi au remarquable travail de l'historienne Edith Sheffer (Les enfants d'Asperger), que les autistes Asperger, aimant se surnommer les Aspies, cherchent d'autres manières de se nommer. Autistes SDI (sans déficience intellectuelle) est un peu descriptive et pas très attachante. 

 

Bruno Bettelheim 1950
Bruno Bettelheim (28 août 1903 à Vienne - 13 mars 1990 à Silver Spring, Maryland) est un pédagogue et psychologue américain d'origine autrichienne. Nous voici arrivés dans les années 50, 60 et à l'apogée des théories psychanalytiques notamment en France (le grand travail de Marie Bonaparte). 

Les travaux de Bruno Bettelheim vont durablement marquer leur temps (jusqu'à nos jours) et on observe une psychologisation à outrance, une forme de radicalisation des thèses psychanalytiques qui aboutit à la culpabilisation des parents et surtout des mères. Cela part d'observations éthologiques, donc sur le comportement affectif des singes qui, artificiellement délaissés par leur mère (séparés de fait) se laissent dépérir les yeux dans le vague jusqu'à mourir : on va commencer à parler de carences affectives majeures.

Bruno Bettelheim va aussi s'appuyer sur la comparaison des enfants autistes avec les enfants des camps de concentration. Il va développer l'idée qu'un environnement hostile peut compromettre gravement l'intégrité psychique : « Dans les camps de concentration allemands, je fus le témoin (il a été lui-même prisonnier aux camps de Dachau et Buchenwald) incrédule de la non réaction de certains prisonniers aux expériences les plus cruelles. Je ne savais pas alors et je ne l'aurais pas cru, que j'observais, chez des enfants, dans l'environnement thérapeutique le plus favorable, un semblable comportement engendré par ce que ces enfants avaient vécu dans le passé » (La forteresse vide 1967)

Pour Bettelheim, ce que ces enfants ont vécu c'est une situation extrême comparable aux camps nazis, expérience dans laquelle leurs parents leur adressent un message inconscient, celui-ci : « le facteur qui précipite l'enfant dans l'autisme infantile est le désir (inconscient) de ses parents qu'il n'existe pas » (La forteresse vide 1967) 

Face au message délétère envoyé par ses parents mais surtout la mère, l'enfant serait amené à s'isoler de toute communication. Il se crée un monde intérieur rigide, dénué de vie : c'est le message métaphorique de la forteresse vide. Mais ce n'est pas tout, la conception va aller plus loin encore. 

Dans l'école orthogénique de Chicago dont il prend les reines comme Directeur, et sous son action, l'établissement va imposer l'exclusion des enfants de leur famille vues comme destructrice pour leur psyché : Je cite à nouveau Bettelheim « si un milieu néfaste peut conduire à la destruction de la personnalité, il doit être possible de reconstruire la personnalité grâce à un milieu particulièrement favorable ». Ces thèses prennent tellement d'ampleur en France, qu'en 1974, une chaine de télévision diffusa 4 émissions de 80 minutes sur les travaux de Bettelheim. 


Lorna Wing
Lorna Wing est une psychiatre britannique (née le 7 octobre 1928 et morte le 6 juin 2014), spécialiste de l'autisme. Elle est elle-même mère d'un enfant autiste Son ouvrage de vulgarisation de référence parait en 1972 sous le titre "Les enfants autistes, un guide pour les parents" qui sera traduit en de nombreuses langues et réédité de multiples fois. 

C’est en 1977 que Lorna Wing définie les critères futurs de la triade de Wing.  C'est l'origine de l'idée d'une triade autistique, ultérieurement largement reconnue et utilisée notamment dans les critères d'identification. C'est également un des maillons qui permet de parler de spectre autistique.

En 2006, Lorna Wing publie dans une revue de médecine de neurologie de l'enfant. L'article "Autisme, un désordre neurologique des premiers stades de développement du cerveau" rend compte des découvertes les plus récentes sur les causes de l'autisme. Mais elle se fait surtout connaitre en 1981, quand elle réactualise le travail de Hans Asperger. Elle n'a évidemment pas connaissance des faits historiquement établis.

Après Lorna Wing, nous ne trouvons plus de figure majeure, il s'agit plutôt de groupe d'experts. En 2012, la HAS (Haute Autorité de Santé) désavoue les théories psychanalytiques dans sa publication des recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Il est dit que «  L'absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques »

En 2013 la notion de Trouble du Spectre de l'Autisme ou TSA est la dénomination de l'autisme utilisée dans la 5e édition du Manuel diagnostique et statistique de l'Association américaine de psychiatrie (DSM-5). Les éditions antérieures du DSM, et la 10e édition de la Classification internationale des maladies de l'Organisation mondiale de la santé (CIM-10), utilisent la dénomination troubles envahissants du développement (ou TED). Maintenant nous parlons des TND qui regroupent TSA, TDAH et DYS.

 L'expression « trouble du spectre de l'autisme » témoigne d'une façon différente d'envisager l'autisme. Ses critères diagnostiques ont été modifiés. Les choses en France commenceront à bouger avec la création d'associations de parents d'enfants autistes et en 1989 de la Fédération Autisme France qui s'opposent aux pratiques et à l'évaluation psychanalytiques. 

C'est en 2007 en France que les thèses de Bettelheim sont définitivement enterrées. En 2011 un article relayé dans CAIRN s'intitule : « L'autisme : symptôme de l'antipsychanalyse ? »


Grounia Sukhareva
 
"Vingt ans avant Kanner et Asperger, en 1925 précisément, Grounia Sukhareva a publié un article scientifique dans lequel elle décrit 6 garçons de 2 à 14 ans. Ces jeunes présentent des caractéristiques de ce que l'on appelle aujourd'hui le "Trouble du Spectre de l'Autisme" (TSA). Le ton de son article se veut positif. L'autrice met l'accent sur les progrès que font les enfants, et leurs talents. Elle dit par exemple au sujet d'un des garçons : "C'est un artiste, et le professeur de dessin l'a évalué comme étant un artiste très doué." Elle explique par ailleurs que les enfants sont en mesure de s'adapter, si les conditions dans l'environnement social sont réunies pour cela. Souligner l'importance de l'environnement est une vision extrêmement novatrice !  La description qu'elle fait de ces enfants comporte beaucoup de similitudes avec le DSM-5. Elle fait par exemple mention de comportements répétitifs, d'intérêts exclusifs dans certains domaines, d'une grande sensibilité aux odeurs et aux bruits. Comme l'ont dit les chercheurs Posar et Visconti (2017) : "La description de ces cas est d'une incroyable précision et modernité : pensez juste au fait, par exemple, que Grunya Efimovna Sukhareva a souligné l'importance d'anormalités sensorielles, qui n'ont retrouvé leur place dans la description de l'autisme que tout récemment dans le DSM-5". Elle a également évoqué le cas des filles autistes dans un article paru en 1927, en présentant leurs caractéristiques ainsi que les différences entre les deux genres. C'est très avant-gardiste." (tiré du site : https://www.julieacademy.com/sukhareva ) 


En conclusion, je dirai que nous sommes partis de causes organicistes, que nous les avons laissées tombées, que nous avons connu une forte psychologisation de l'autisme et qu'aujourd'hui nous revenons à un dysfonctionnement des organes puisqu'il est admis de nos jours de penser sinon d'affirmer que l'autisme est un trouble du neuro développement.

Julie Dachez

Un dernier mot rapide pour évoquer le travail de conférencière de Julie Dachez. Diagnostiquée à 27 ans autiste Asperger, elle soutient ensuite une thèse et devient Docteure en psychologie sociale. Faisant état de son autisme au Jury, ce dernier se scinde en deux. D'un côté, ceux la soutenant et de l'autre côté ceux considérant qu'elle ne peut pas présenter une thèse dont elle est elle-même concernée par son objet de recherche. Nous voyons le chemin qui reste à parcourir en France. Car, ailleurs (Canada, Etats-Unis, Belgique, Suisse, Angleterre...), les autistes sont largement associés au travail de réflexion, de recherche et de diffusion.
Je recommande son livre "Dans ta bulle" et sa BD "La différence invisible".


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L'association Autisme SDI 95 Info a pour objectif de partager des informations simples et éclairées sur le Trouble de Spectre de l'Autisme (TSA) sans déficience intellectuelle (SDI) ni retard de langage aux personnes concerné.e.s ou qui se pensent concerné.e.s. sur le département du Val d'Oise.  Je suis psychologue et père d'un enfant autiste SDI diagnostiqué à l'âge de 19 ans après une errance diagnostique que nous aurions aimé éviter. J'étais donc moi même mal formé par mon université sur ce sujet. Depuis, je me spécialise et j'approfondis de plus en plus mes connaissances. J'ai aujourd'hui acquis des bases solides et je compte bien en faire profiter d'autres personnes.  Je pense que nous sommes nombreux en France à être dans ce cas. Cela s'explique par l'histoire de l'autisme depuis Freud et Bleuler en passant par Kanner, Asperger, Bettelheim et la place importante prise par la psychanalyse dans notre société au travers de nos inst...

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