"L'autisme concerne plus les petits garçons que les petites filles". Cette phrase, nous l'avons toutes et tous lue ou entendue. Mais qu'en est-il vraiment ? Est-ce parce que nous ne voyons pas que cela n'existe pas ? Et plus que nous le pensons ? Et puis, qu'en est-il de notre manière de regarder ?
Alors, par prudence, nous dirons ici que, selon les données à ce jour consultables, il semblerait que les garçons soient plus concernés que les petites filles. Les recherches avancent cependant et la manière de poser notre regard évolue sensiblement.
Des spécificités féminines se font jour actuellement. Et enfin, nous n'observons plus que les garçons pour ensuite en faire une généralité du genre humain. L'époque masculiniste se meurt et c'est tant mieux.
Par exemple, on a attribué la "découverte" de l'autisme à Kanner et Asperger... L'histoire contemporaine n'a retenu qu'eux. Mais des recherches récentes sortent de l'ombre la psychiatre Grunya Sukhareva qui, dès 1925, publiait des articles très riches et bien plus précis au point d'être encore valables de nos jours et de les retrouver dans le DSM5 ! Qu'a retenu l'histoire des observations de Mélanie Klein sur les stéréotypies ?!
Donc, si je résume, petites filles autistes et docteures sont invisibilisées ou à peu près.
Avant de décrire les spécificités de l'autisme au féminin, précisons ceci : l'autisme, qu'il soit masculin ou féminin, s'exprime toujours par les 2 mêmes caractéristiques fondamentales qui sont les difficultés relationnelles et communicationnelles puis les intérêts restreints et répétitifs conjointement au profil sensoriel atypique.
Toutefois, et nous y voici, les filles et femmes autistes présentent de meilleurs aptitudes socio-communicationnelles. Cela tient notamment à des stimulations précoces plus fréquentes à l'usage du langage que chez les petits garçons, qu'une agitation motrice par exemple va moins déranger que chez une petite fille a qui il sera demandé d'exprimer ce qui se passe plutôt que de s'agiter.
De plus, leurs intérêts restreints et répétitifs sont souvent plus acceptables socialement et moins remarqués que chez le petit garçon. Par exemple, on aura tendance à plus remarquer l'intérêt d'un garçon pour les horaires de train ou les plans de métro que l'intérêt spécifique fort d'une fille pour les chevaux ou l'onglerie (élément clinique reçu en consultation avec une jeune ado). Des intérêts pour les arts, la philosophie, les animaux, sont plus souvent retrouvés chez les filles que chez les garçons.
Si ces comportements répétitifs sont souvent invisibilisés, les comportements routiniers et le manque de flexibilité sont souvent marqués et bien présents.
Pour ces raisons, l'autisme au féminin passe plus facilement inaperçu pour l'entourage. On dit des femmes autistes qu'elles sont souvent de vrais caméléons sociaux. Cette expression a aujourd'hui pris toute sa place dans les échanges autour de l'autisme et on parle dorénavant souvent de camouflage, notamment chez celles et ceux qui ont reçu un diag tardif. Car les hommes aussi, avec le temps, apprennent à camoufler !
Parmi les autres spécificités on retrouve une tendance à l'anxiété et à la dépression plus forte chez les femmes qui vivent plus difficilement que les hommes leur difficulté à trouver leur place. Les femmes vont faire plus de crises d'angoisse ou d'attaque de panique. Les traits anxieux marqués évoquent des formes d'anxiété sociale et si l'on n'est pas attentif aux autres traits spécifiques, le diagnostic peut être retardé voire ne jamais arriver. Et les femmes se pensent anxieuses, phobiques, hypersensibles et en culpabilisent d'autant que ces traits de personnalité sont souvent perçus comme de la faiblesse. Cela abîme leur propre estime.
Une jeune femme venant me consulter décrit une crise d'angoisse dans sa voiture au point de devoir s'arrêter sur le bas côté au retour d'une soirée dans sa famille. Elle dit : "Quelle nulle je suis ! On m'invite à dîner et moi j'en fais une crise d'angoisse. N'importe quoi !".
En déroulant sa journée, je note une journée de travail longue, fatigante et surtout bruyante. Elle travaille dans un magasin de jouets. L'hypothèse d'un profil sensoriel sensible au bruit est apparu lors d'autres entretiens. Elle pensait rentrer chez elle après cette journée de travail retrouver "mon train train quotidien que j'apprécie tant" précise t-elle mais elle est appelée pour venir dîner. Une soirée qui n'était pas prévue s'annonce et il va falloir encore faire des efforts, continuer à socialiser. Elle n'en a pas vraiment envie mais par peur de décevoir elle accepte. Elle dit ne pas se sentir très bien pendant le repas, les conversations ne l'intéressent pas, mais elle poursuit ses efforts. Elle tient jusqu'à dire au revoir à tout le monde et surtout merci pour la soirée c'était super !
Arrivée dans sa voiture des tremblements l'envahissent, un poids sur la poitrine, elle démarre, ouvre la fenêtre pour refroidir sa "tête en feu" en profitant de l'air frais de la nuit et la crise d'angoisse se déclenche...Panique, peur de mourir, difficulté à respirer, impression de devenir folle. Elle me demande : "peut-on mourir d'une crise d'angoisse ?"
Que peut-on dire de cette illustration clinique ? Une journée de travail harassante, l'envie de retrouver sa routine afin de désaturer (besoin de stabilité et d'immuabilité), un imprévu (manque de flexibilité), l'incapacité à dire non à l'invitation par l'action combinée de la culpabilité et la non prise en compte des ressentis intérieurs (camouflage), la crise est inévitable. Elle marque l'accumulation, le trop plein, la saturation (trouble anxieux en co-occurrence).
Ma jeune patiente connaît un MELTDOWN c'est à dire un effondrement intérieur par la surcharge sensorielle, émotionnelle et cognitive. Car le camouflage est très énergivore pour les fonctions cognitives. Mon travail sera donc de lui permettre d'être attentive à ses propres déclencheurs et surtout à l'encourager à écouter son état intérieur.
Beaucoup reste à faire pour mieux repérer l'autisme au féminin. Nous devons être plus attentif aux signaux faibles. Mais on avance ;)
Je vous invite à écouter ce formidable podcast (avec leur aimable autorisation) :
Vous y trouverez beaucoup de témoignages autour de la vie quotidienne, le travail, la sexualité, le rapport à soi et aux autres etc...
Sur le prochain lien vous pourrez lire un très beau et très émouvant témoignage d'une jeune femme diagnostiquée tardivement, après errance diagnostic. Elle parle beaucoup de camouflage. D'ailleurs, le titre de l'article est clair :
Femmes caméléons, Mélissa PERRON
Ici enfin une conférence avec Mélissa Perron et la Dre Isabelle Hénault :
Le profil féminin de l'autisme Asperger
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